jeudi 28 juillet 2011

Somalie : merci, mais nous avons déjà amplement donné…

La Somalie étant encore frappée par une famine, une nouvelle fois les médias déversent des images atroces accompagnées de commentaires dégoulinants de bons sentiments et chargés de reproches culpabilisateurs. Comme si nous, Européens, avions la moindre responsabilité dans ce drame dont les deux principales causes répétitives sont clairement identifiées :

- Une guerre tribale que se livrent des clans historiquement rivaux.
- Une surpopulation suicidaire qui a détruit le fragile équilibre écologique régional. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement avec un taux de natalité brute de plus de 48% et un indice de fécondité par femme atteignant 6,76 enfants ?

Au moment où une intense campagne vise à préparer les esprits à une intervention, il est impératif de donner les clés du problème somalien tant il est vrai que seul le retour à l’histoire permet de tempérer les émois humanitaires :

1) La Somalie est en guerre depuis 1978. Le problème n’y est pas ethnique mais tribal, le grand ensemble ethnique somali qui occupe une vaste partie de la Corne de l’Afrique est en effet divisé en trois grands groupes (Darod, Irir et Saab), subdivisés en tribus, en clans et en sous clans qui se sont toujours opposés. Hier pour des points d’eau et des vols de chameaux, aujourd’hui pour des trafics plus « modernes ».

2) Le 15 octobre 1969, après l’assassinat du président Ali Shermake, le général Siyad Barre prit le pouvoir. C’était un Darod de la tribu Maheran. En 1977, il lança son armée dans l’aventureuse guerre de l’Ogaden. Dans un premier temps, l’armée éthiopienne fut balayée, puis l’offensive somalienne se transforma en déroute. Après cette défaite, les réalités tribales s’imposèrent avec encore plus de force qu’auparavant et le gouvernement ne fut plus désigné que sous l’abréviation MOD, qui signifiait Marehan-Ogadeni-Dhulbahante, à savoir les trois clans associés aux affaires.

3) Une terrible guerre tribale opposa ensuite les Darod entre eux. Finalement, la tribu Hawiyé l’emporta sur celle des Maheran et le 27 janvier 1991 le général Siyad Barre fut renversé.

4) La Somalie subit alors la loi de deux factions antagonistes du CSU (Congrès  somalien unifié), mouvement tribal des Hawiyé, qui éclata sur un critère clanique opposant le clan agbal d’Ali Mahdi Mohamed au clan Habar Gedir dirigé par le « général » Mohamed Farah Aidid. Dans le nord du pays, le 18 mai 1991, le Somaliland, ancien protectorat britannique, se déclara indépendant.

5) La guerre des milices provoqua une atroce famine et l’opinion américaine se mobilisa. En France le docteur Kouchner lança la campagne du « sac de riz pour la Somalie ». Puis, au mois de décembre 1992, un corps expéditionnaire  US débarqua dans une mise en scène théâtrale pour « rendre l’espoir » aux populations somaliennes. L’opération « Restore Hope » avait été déclenchée au nom d’une nouvelle doctrine inventée pour la circonstance, l’ingérence humanitaire, ce colonialisme des bons sentiments. Ce fut un échec cuisant et le 4 mai 1993, l’ONU prit le relais des Etats-Unis en faisant débarquer un corps expéditionnaire de 28.000 hommes. Le 5 juin, 23 Casques Bleus pakistanais furent tués par les miliciens du « général » Aidid et le 12 juin, un commando américain échoua dans une tentative de représailles contre le chef de guerre somalien. Le 3 octobre enfin, 18 soldats américains perdirent la vie dans l’affaire de la « chute du faucon noir ».

6) Au mois de mars 1994, à Nairobi, un accord de réconciliation fut signé entre les deux chefs hawiyé, mais il demeura lettre morte. A partir du mois d’août, l’anarchie fut totale, les hommes d’Ali Mahdi contrôlant le nord de Mogadiscio et ceux du « général » Aidid le sud. Le 22 août, 7 Casques Bleus indiens furent tués. Les Américains rembarquèrent alors, abandonnant dans le bourbier somalien le contingent de l’ONU composé de soldats pakistanais et bengalais. Le 28 février 1995, il fallut un nouveau débarquement baptisé opération « Bouclier unifié » pour extraire les malheureux devenus otages. L’ONU quittait  la Somalie sur un cuisant échec politique et militaire qui lui avait coûté 136 morts et 423 blessés.

7) Les clans somalis se retrouvèrent  alors entre eux et ils s’affrontèrent de plus belle. Le 1° août 1996, le « général » Aidid, grièvement blessé au combat mourût. Son fils Hussein Aidid lui succéda à la tête de son parti, le CSU/UNS (Congrès somalien unifié/Union nationale somalienne), c’est à dire sa milice tribale composée du noyau dur du sous clan des Saad, lui-même étant une sous division du clan des Habr Gedir de la tribu hawiyé. Dans le sud du pays, les miliciens de Hussein Aidid s’opposèrent aux Rahanwein, ces derniers s’affrontant ensuite en fonction de leur appartenance clanique tandis que dans le nord-est, plusieurs composantes des Darod dirigées par Abdullahi Yussuf Ahmed créaient au mois d’août 1998 une région autonome baptisée  Puntland.

8) En 2004, après d’interminables discussions entre les factions claniques, un accord  de partage du pouvoir fut trouvé, mais le Gouvernement Fédéral de Transition, incapable de s’installer en Somalie fut contraint de « gouverner » depuis le Kenya.

9) Puis un nouveau mouvement fit son apparition sur la scène somalienne, les Tribunaux islamiques dont les milices, les Shababs (Jeunes) menacèrent de prendre Mogadiscio. Au mois de décembre 2006, pour les en empêcher, l’armée éthiopienne entra en Somalie sans mandat international, mais encouragée par les Etats-Unis.

10) Par le vote de la Résolution 1744 en date du 21 février 2007, le Conseil de sécurité de l’ONU autorisa ensuite le déploiement d’une mission de l’Union Africaine, l’AMISOM. L’UA avait prévu qu’elle serait composée de 8000 hommes, or les pays volontaires ne se bousculèrent pas.

Depuis, à l’exception du Somaliland et dans une mesure moindre du Puntland, les islamistes contrôlent  la majeure partie du pays. Or, pour eux, la famine est une véritable aubaine car :

- Elle va leur permettre d’être reconnus par la « communauté  internationale » qui devra traiter avec eux pour l’acheminement de l’aide alimentaire.
- Elle va leur permettre d’achever la prise de contrôle du pays.
- Elle va leur permettre de tirer de juteux profits des détournements de cette aide, comme cela avait été le cas lors de la grande famine d’Ethiopie dans les années 1984-1985.

La conclusion de cette mise au point est donc claire : nous n’avons rien à faire dans cette galère. A moins, naturellement, de vouloir verser dans le « tonneau des Danaïdes » somalien une aide qui serait pourtant tellement utile à nos SDF et à toutes ces familles françaises qui ne mangent plus à leur faim.
Enfin, mes pensées vont à cet officier français - et à sa famille -, prisonnier des milices somaliennes depuis deux longues années et dont le sort n’émeut pas particulièrement l’opinion. Mais il est vrai qu’il n’a pas la chance d’appartenir à la corporation journalistique...

Bernard Lugan
29/07/2011

samedi 16 juillet 2011

L'Afrique Réelle N° 19 - Juillet 2011

 
























SOMMAIRE :

Dossier : L'Afrique du Sud, un an après le mondial
- Un paysage économique et social sinistré
- Un racisme institutionnalisé au nom de l'égalité
- Une vie politique reposant sur les déterminismes raciaux
- La question de la terre
- Les enseignements des élections municipales du 18 mai 2011
- La question des coloured

Histoire : 
- Les volontaires français durant la guerre de Boers

EDITORIAL :

Un an après la parenthèse du Mondial de football, l’artificielle image de l’Afrique du Sud complaisamment rapportée par les médias est aujourd’hui bien oubliée. Le pays étant plus divisé et même plus fragmenté que jamais, le retour à la réalité est y bien difficile.

Au mois de mai 2009, Jacob Zuma a été élu sur une promesse phare qui était de donner des emplois à tous les Sud-africains. Arrivé à mi-mandat il a été incapable de la tenir. En plus du chômage qui ronge la société sud-africaine, il est confronté à d’autres problèmes tout aussi insolubles comme l’insécurité - depuis le début de l'année 2011 40 policiers ont été tués par balle dans l'exercice de leur fonction-, et la corruption. L’enrichissement outrancier de la nomenklatura ANC dont les ministres paradent ostensiblement dans des voitures à 100 000 euros quand les troisquarts de la population vit avec moins de 1,5 $ par jour, constitue une véritable gangrène sociale. Quant au commerce illégal, il a été évalué à 18 milliards d'euros pour la seule année 2010, soit 10% du PIB national selon M. Siyabonga Cwele, ministre de la Sécurité, et encore, selon les experts, ce chiffre est très largement sousestimé.

L’accélération de la racialisation de la vie politique et son corollaire qui est la transformation des Blancs en citoyens de second rang, constitue une donnée que les observateurs n’évaluent pas à sa juste mesure tant ils sont conditionnés idéologiquement. Au lendemain de son élection, Jacob Zuma avait paru conscient de ce problème et il avait déclaré vouloir recadrer la discrimination positive qui fait fuir les diplômés blancs. Face aux critiques de l’aile révolutionnaire de l’ANC qui avait fait son élection, il a au contraire amplifié les mesures discriminatoires qui pénalisent les seuls Blancs.

Le climat politique et social étant empoisonné, l’Etat ANC glisse lentement sur la pente dictatoriale. Deux grands projets liberticides illustrent cette dérive. Le premier est la tentation clairement exprimée par certains de ses leaders de supprimer les attributs des provinces afin d’administrer le pays d’une manière encore plus jacobine, mais l’ANC ne dispose plus pour le moment de la majorité absolue qui lui permettrait de changer la Constitution.
Le projet de Loi du secret est quant à lui caricatural et digne de la Corée du Nord. Il vise en effet à interdire toute information publique concernant 1000 institutions auxquelles le secret serait appliqué. En clair, la presse n’aurait plus le droit d’enquêter sur les services de l’Etat et sur les grandes entreprises publiques. Cette loi qui permettrait de couvrir toutes les « magouilles » prévoit la prison pour les curieux. Une telle régression des libertés en est à la phase finale de son élaboration, 20 ans après l’abolition des lois d’apartheid (30 juin 1991).

Moins de deux ans avant les prochaines élections présidentielles, l’ANC est zébré par des fractures de plus en plus profondes. Le fossé se creuse chaque un peu plus entre des nationalistes africains profondément racistes, des idéalistes croyant pouvoir bâtir une nation « arc-en-ciel » multi raciale, des ultra-libéraux alignés sur les oukases du FMI ou de la banque mondiale, des Zulu faisant bloc derrière Jacob Zuma et des jeunes loups désireux de prendre les rênes politiques du pays.
Ces profondes divisions vont être provisoirement masquées par la préparation des grandioses célébrations du centenaire de la création de l’ANC qui vont se dérouler au mois de janvier 2013. Cette nouvelle parenthèse permettra une fois encore de fuir la réalité et elle sera célébrée avec faste par les médias mondiaux dont l’aveuglement n’a pas de limites.

Bernard Lugan